Le Colisée à Rome

Au nom de Christ, arrêtez !

Nous sommes dans les rues de Rome. Un homme à la peau tannée par le soleil marche en contemplant les splendeurs de l'architecture et de l'art romains. Sa vie ne l'a pas préparé à cela, Télémachus est un ermite égyptien, plus habitué aux rigueurs du désert et à la solitude qu'aux merveilles de Rome et à la foule qui le presse. Il n'est pas là pour ça, à vrai dire,

il ne sait pas pourquoi il est là : Dieu l'a appelé à se rendre dans cette ville, la capitale de l'empire romain d'occident. La foule converge vers le Colisée pour assister aux jeux du cirque qui accompagnent le triomphe de l'empereur romain Honorius, en l'honneur des victoires de ses armées menées par Stilicon sur les Goths en ce tout début du Vème siècle après Jésus-Christ.

Porté par le flot humain, comme un homme est pris dans un fleuve en crue, l'homme de prière ne peut s'échapper. Il se trouve bientôt devant l'amphithéâtre ; il est forcé, avec les autres, de monter les étages et il se trouve là parmi 70 000 spectateurs, au dessus d'une arène où ont déjà commencé les combats de gladiateurs, dans un concert de cris et de vociférations du public.

Tout s'éclaire pour Télémachus, c'est donc pour cela que Dieu l'a conduit jusqu'à Rome, comme il a conduit jadis le prophète Jonas à Ninive, lui qui était si réticent à quitter sa vie de renoncement. Dans le brouhaha, mais claire toutefois en raison des trésors d'ingéniosité des architectes en matière d'acoustique, sa voix s'élève, puissante « Au nom de Christ, arrêtez ! ». Les lazzis fusent « Va prêcher ailleurs ! », « Les coutumes de Rome doivent être observées ! » et autres invectives.

Alors, Télémachus saute dans l'arène et s'interpose entre deux gladiateurs. « Au nom de Christ, arrêtez ! ». Sur l'ordre de l'éditeur des jeux, un des gladiateurs le fait taire d'un coup de glaive fatal. Voyant son corps flasque gisant sur le sable et la flaque de sang qui s'en écoule, le silence se fait peu à peu dans l'amphithéâtre. Un homme se lève, puis deux, puis trois. Bientôt il ne reste plus personne. Quelques jours après, sur les conseils de son entourage, le maître de l'empire d'occident, qui n'était qu'un enfant, signe le décret d'interdiction des combats de gladiateur.

Belle légende ? Non, Fait historique ! même si les détails de la mort de Télémachus varient un peu : ce serait la foule qui l'aurait lapidé — ce qui est peu probable — ; la foule n'aurait pas quitté le Colisée, honteuse — ce qui est plus probable —. Mais les historiens ne remettent pas en cause la réalité du fait qu'un jour, probablement le 1er décembre 404, un homme seul s'est dressé contre la barbarie, au nom de Christ, que sa voix a été entendue au point de mettre fin à cette pratique sanguinaire, qui déchaînait des passions infâmes depuis presque 670 ans, ancrée profondément dans les traditions, l'ordre politique et culturel de la plus puissante nation de l'antiquité. Certes, la diffusion du christianisme avait préparé le terrain et déjà 5 ans auparavant, les ludi où s'entraînaient les gladiateurs avaient été dissous, mais cette mort sacrificielle a été le catalyseur qui a permis la prise de décision politique de l'interdiction de ces jeux sanglants.

En entendant l'histoire et en faisant des recherches pour m'assurer de sa véracité, plusieurs enseignements m'ont interpellé.

La violence et l'église

D'abord, il est de plus en plus courant d'entendre des accusations contre les chrétiens sur leur propension à la violence, et on cite les guerres de religion, l'inquisition, les croisades (en mélangeant allègrement des facteurs politiques et de géopolitique).

C'est oublier que le message de Christ a été répandu par des hommes de paix, qui ont préféré mourir en martyrs plutôt que prendre des armes, que les premiers chrétiens ont mis fin à des pratiques comme l'exposition des enfants, l'esclavage, et les combats de gladiateurs. C'est oublier le rôle de l'église en faveur des pauvres, des malades, des lépreux. C'est oublier que la première ONG, c'est l'église de Christ, en taille, en efficacité et en antériorité. Il est de bon ton aussi de stigmatiser les missionnaires ; c'est oublier combien ont renoncé à une carrière brillante et ont fini par payer de leur vie et de la vie de leurs enfants non seulement la prédication de l'évangile, mais aussi les soins médicaux et l'éducation qu'ils apportaient aux populations auxquelles le Seigneur les avaient destinés.

Récemment encore, Nicolas Kristof, un des journalistes / éditorialistes les plus réputés du New York Times disait "Il ya de nombreux..nombreux travailleurs humanitaires qui font un travail héroïque, mais les gens que j'ai rencontrés au cours des années dans les endroits les plus impossibles, là ou toute personne raisonnable a fui, sont de façon disproportionnée déraisonnables à cause de leur foi."

Un Torquemada (inquisition), un Simon de Montfort (croisage contre les Albigeois) ne sauraient faire oublier les millions qui ont suivi l'enseignement de Christ de procurer la paix (Matthieu 5:9), de nourrir ceux qui ont faim, de vêtir ceux qui sont nus, de visiter les prisonniers (Matthieu 25). Alors, que des intellectuels et philosophes à la mémoire prodigieuse mais sélective mettent toutes les religions dans le même sac d'infamie, c'est leur responsabilité, mais il est bon pour nous de nous rappeler que c'est par la douceur que l'évangile est venu et a conquis le monde.

Il est bon de penser aux matrones patriciennes qui libéraient d'un seul acte, qui 5000, qui 3000 esclaves qui trimaient sur leurs terres ou dans leurs mines. Il est bon de penser à ces premiers chrétiens qui adoptaient les nourrissons abandonnés aux chiens et aux bêtes féroces environnant les villes de l'antiquité, l'esprit d'adoption dont Paul a parlé dans son épître au Romains. Il est bon de penser à Télémachus, seul et dérisoire réduit au silence sur le sable de l'arène.

Notre histoire

Ensuite, c'est vers nous qu'il faut regarder, nous chrétiens évangéliques. Nous avons des problèmes avec notre histoire. Il est vrai que la tradition consistant à donner des pouvoir d'intermédiation entre Dieu et les hommes à des « saints » est une déviation terrible de la saine doctrine par laquelle " [...] il y a un seul Dieu, et aussi un seul médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus-Christ homme, qui s'est donné lui-même en rançon pour tous." (1 Timothée 2:5-6 LSG).

Pourtant, l'histoire attestée, vérifiée, fournit, à l'instar de Télémachus, des exemples de courage et de sacrifice dont nous avons tant besoin, alors que notre foi et notre piété vacillent et que nous sommes top souvent muets devant les amnésiques qui insultent nos pères et nos valeurs.

Raison contre tous ?

Il est aussi frappant qu'un homme a eu raison contre 70 000 autres (le Colisée pouvait accueillir entre 55 000 et 75 000 spectateurs, 70 000 est assez raisonnable pour un événement majeur comme des jeux lors d'un triomphe). L'autorité que lui ont donnée sa compassion et la fermeté de sa foi a eu raison de leur passion sauvage. Leur nombre, leur passion ne leur a pas donné raison. Aujourd'hui encore, parfois nous pouvons nous sentir écrasés par notre singularité.

Comment oser prétendre avoir raison contre tous ? Comment oser penser que sans Christ, ils sont perdus ? Comment oser évoquer la sainteté de la vie alors que 400 000 vies sont avortées chaque année dans notre pays (et pourtant nous disposons de moyens contraceptifs efficaces). Comment oser rappeler que le mariage est l'union indissoluble d'un homme et d'une femme pour construire un ensemble, alors que cette union est détournée de son usage par les groupes de pression homosexuels et par tous ceux qui divorcent ? Comment oser, ils sont si nombreux... Mais il faut oser se lever, parler et descendre dans l'arène.

Un homme, une mission

Enfin, il a fallu un homme, missionné par Dieu, pour s'opposer à une pratique profondément ancrée dans la culture d'une civilisation puissante, dominatrice et autoritaire. Un homme choisi. Un homme parmi 70 000. Un homme dont ce n'était pas la vocation première. Un homme qui a compris un jour ce que Dieu attendait de lui. Un homme qui a dit « Au nom de Christ, arrêtez ! »