Seul dans la foule by Rémy Dubois

Vaincre la solitude

La solitude, ça n’existe pas chantait Gilbert Bécaud dans les années 70. Il incarnait un personnage qui, à force de dénégations, prouvait le contraire de ce qu’il affirmait. Depuis, en dépit de tous les moyens de communication, les choses ne se sont pas arrangées, avec le confinement qu'impose Covid-19.

Un ministère de la solitude avait été créé chez nos voisins d’outre-Manche. La ministre Tracey Crouch est chargée de remédier au mal-être grandissant de la population : 9 millions de britanniques se sentent seuls, un demi-million disent considèrent leur animal ou la télévision comme leur compagnon, 200 000 n’ont de contact avec leur famille, amis, voisins qu’une fois par mois. Estimée plus nocive que l’obésité par plusieurs études médicales, la solitude ferait plus de mal que 15 cigarettes fumées par jour.

Ce qui est vrai pour la Grande-Bretagne n’est pas moins une réalité pour la France et les autres pays européens, confrontés à la dislocation des solidarités familiales et au vieillissement de la population. En 2003, la surmortalité de 15 000 personnes au mois d’août, liée à la canicule, avait révélé aux Français l’ampleur de la solitude des personnes âgées délaissées par leur famille, oubliées, seules, désespérément seules, à en mourir d’épuisement. Selon la Fondation de France, 5 millions de personnes seraient en situation d’isolement en France.

Et la solitude n’est pas que l’affaire des vieux. Qui dira la solitude des femmes - ou des hommes – seules pour élever un ou plusieurs gamins ? Certes on dira que si elles ont des enfants, elles ne sont pas seules. Mais pourtant, seules elles sont quand il faut joindre les deux bouts, organiser les activités scolaires des enfants et les préserver des mauvaises fréquentations. 

La solitude, c'est aussi un marché : les réseaux sociaux bien sûr qui permettent de vendre des milliards en publicité, mais aussi les sites de rencontre Meetic, Tinder et autres Adopte un mec, qui non seulement ne répondent pas au besoin profond, mais qui enfoncent ceux qui les utilisent dans le sordide. Déjà apparaissent les premiers robots... on va dire de compagnie et on n'ose imaginer les dégâts que va causer la réalité virtuelle qui commence à se développer. L'économie de l'isolement pèse très lourd dans le monde. 

D’ailleurs la solitude n’est pas qu’une question de nombre de personnes autour de soi. Un grand moment de solitude, c’est quand on a dit ou fait une énormité devant beaucoup de témoins et qu’on a envie de disparaître sous terre. On peut être seul avec des milliers d’amis FaceBook. On peut être seul dans la foule, même quand on est adulé par des millions de fans. Comptez ces derniers mois combien ont mis fin à leur vie ou meurent à petit feu par leurs addictions aux drogues, au sexe, aux dépenses effrénées.

Et si la solitude, c’était plus qu’être seul ?

Ainsi donc la solitude, ce ne serait pas seulement comme le dit le dictionnaire : être seul. Le succès planétaire du Robinson Crusoé de Daniel Defoe et plus récemment du film Seul au monde du metteur en scène Robert Zemeckis n’est-il pas dû à l’écho au fond de nous d’une peur primaire, ancestrale, gravée dans notre ADN ; la peur d’un abandon absolu ? Robinson ou son alter ego contemporain, Chuck Noland, sont bien seuls, isolés mais comme nous l’avons vu, la détresse de stars bien entourées montre aussi que ce ne sont pas les autres qui nous manquent, mais un autre, qui nous aurait abandonné. Un père ?

Les évangiles de Matthieu et Marc rapportent le cri de Jésus sur la croix : “[..] Jésus s’écria d’une voix forte : Éli, Éli, lama sabachthani ? c’est–à–dire : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as–tu abandonné ?” (Matthieu 27:46 LSG). En Jésus, un dialogue s’était rompu, une présence s’était effacée, la solitude s’était engouffrée et, avec elle, une angoisse indicible. Jésus venait de porter notre péché.

Dieu nous a-t-il abandonné ? À vrai dire, c’est une façon de voir les choses, notre façon à nous, bien à nous. Dieu, nous l’avons tué et le chantre de sa mort, le philosophe Nietzsche, fait intervenir dans son livre, Le Gai savoir Le personnage du fou, écoutons-le

N’entendons-nous rien encore du bruit des fossoyeurs qui enterrent Dieu ? Ne sentons-nous rien encore de la décomposition divine ? — les dieux, eux aussi, se décomposent ! Dieu est mort ! Dieu reste mort ! Et c’est nous qui l’avons tué ! Comment nous consolerons-nous, nous, les meurtriers des meurtriers ? Ce que le monde a possédé jusqu’à présent de plus sacré et de plus puissant a perdu son sang sous notre couteau — qui effacera de nous ce sang ? Avec quelle eau pourrons-nous nous purifier ? Quelles expiations, quels jeux sacrés serons-nous forcés d’inventer ? La grandeur de cet acte n’est-elle pas trop grande pour nous ? Ne sommes-nous pas forcés de devenir nous-mêmes des dieux pour du moins paraître dignes des dieux ? (Le Gai savoir, Livre troisième, 125)

Qu’on se rassure, quoiqu’en disent ceux qui le blasphèment, Dieu n’est pas mort, loin de là, mais ce n’est pas faute d’avoir voulu le tuer. tout juste en voulant être libres avons-nous réussi à l’abandonner, et cela nous le payons cher. Friedrich Nietzsche lui-même passa les dernières années de sa vie dans la démence. Mais dans sa folie il ne pouvait renier ce qu'il avait d'une certaine façon prophétisé : ayant renié notre Père, nous sommes seuls, seuls avec notre secret, seuls avec notre culpabilité, seuls avec cette situation qui nous échappe.

Vaincre la solitude

Alors bien sûr, pour régler un problème existentiel, la création d’une administration, de politiques interministérielles, des comités ad-hoc, l'affectation de fonctionnaires pour lutter contre la solitude seront aussi efficaces qu'un cautère sur une jambe de bois. Ceci ne convaincra personne et les bonnes intentions d’un jour se noieront dans l’emprise du quotidien.

La réconciliation

Sommes-nous donc condamnés à la solitude ? Non, car celui qui a permis la solitude de Jésus sur la croix, comme nous l’avons vu plus haut, c’est celui qui a envoyé le Fils éternel pour que nous soyons réconciliés avec Lui. La solitude effrayante de Jésus, c’était la fin de notre propre solitude. Son abandon, c’était notre salut. D’ailleurs, alors que sur la croix, le Fils était déchiré dans son âme, dans le Temple de Jérusalem, le voile qui séparait le Lieu saint du Lieu très saint (où le Souverain sacrificateur n’entrait qu’un fois par an) se déchirait de bas en haut, signifiant symboliquement que Dieu devenait accessible à tous les hommes.

L’apôtre Paul va plus loin quand, écrivant à l’église de Colosse, il leur annonce “le mystère caché de tout temps et dans tous les âges, mais révélé maintenant à ses saints, à qui Dieu a voulu faire connaître quelle est la glorieuse richesse de ce mystère parmi les païens, savoir : Christ en vous, l’espérance de la gloire.” (Colossiens 1:26-27 LSG). Christ en vous, Christ en nous c’est une réalité qui vainc définitivement la solitude. Paul a écrit ces lignes probablement entre 60 et 62 après Jésus-Christ alors qu’il était dans la prison qu’il n’allait quitter que pour être exécuté et c’est cette présence qui l’a soutenu et loin de se lamenter c’était lui qui encourageait ceux qui l’aimaient. Cette réalité, on peut la vivre aujourd’hui, nous sommes nombreux pouvoir en témoigner.

Pour trouver Dieu, il faut arrêter de le fuir

Comment avons-nous fait ? On ne dira jamais assez la simplicité de l’évangile : pour trouver Dieu, il faut arrêter de le fuir. Approchez-vous de lui et il s’approchera de vous, le reste suit de lui-même. Du verbe rugueux qui le caractérise, Jacques, le frère de Jésus, nous assène la vérité : “Croyez–vous que l’Ecriture parle en vain ? C’est avec jalousie que Dieu chérit l’esprit qu’il a fait habiter en nous. Il accorde, au contraire, une grâce plus excellente ; c’est pourquoi l’Ecriture dit: Dieu résiste aux orgueilleux, Mais il fait grâce aux humbles. Soumettez–vous donc à Dieu ; résistez au diable, et il fuira loin de vous. Approchez–vous de Dieu, et il s’approchera de vous. Nettoyez vos mains, pécheurs ; purifiez vos cœurs, hommes irrésolus. Sentez votre misère ; soyez dans le deuil et dans les larmes ; que votre rire se change en deuil, et votre joie en tristesse. Humiliez–vous devant le Seigneur, et il vous élèvera.” (Jacques 4:5-10 LSG). Tout est dit ici : pour vaincre la solitude il faut se soumettre à Dieu ; la réconciliation est à ce prix.

L’Église

Non seulement, Christ en nous, mais aussi nous dans l’Église. Oubliez si vous le voulez les organisations, les cérémonies, les prêtres et revenons à l’essentiel. “Je vous donne un commandement nouveau: Aimez–vous les uns les autres ; comme je vous ai aimés, vous aussi, aimez–vous les uns les autres. À ceci tous connaîtront que vous êtes mes disciples, si vous avez de l’amour les uns pour les autres.” (Jean 13:34-35 LSG) De fait, l’Église première s’est fait connaître au monde antique par sa solidarité inédite. Elle était en totale contradiction avec le chacun-pour-soi païen. Ainsi les orphelins, les veuves étaient pris en charge, la nourriture était partagée avec les pauvres, les enfants non désirés abandonnés aux bêtes sauvages étaient recueillis, les esclaves libérés. Une communauté vibrante, innovante, conquérante s’était mise en route. Ce mouvement a pâli toujours quand les hommes ont voulu l’utiliser à leur propre gloire, mais Dieu a permis encore et encore des résurgences. L’Église, c’est la grande aventure d’une solidarité fondée sur les principes du Christ. Elle est plus que jamais ouverte aux femmes et aux hommes de bonne volonté. Encore aujourd’hui, l’Église est l’endroit pour trouver une nouvelle famille, votre nouvelle famille.

 

Crédit Illustration : Rémy Dubois